Le-Scaphandrier

Le-Scaphandrier

Mon aïeul scaphandrier à Ierapetra en Crête.

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Mon aïeul Spyridon Dorgiakis, scaphandrier à Ierapetra(Cette nouvelle dont je suis l'auteur est tirée de ma réalité biographique familiale et de mon imagination)

 Spyridon Dorgiakis émerge de sa couche conjugale, la place de sa femme est encore tiède et le lin
des draps et son oreiller sont encore délicatement parfumés
d'effluves de jasmin. Réveillé par l'odeur agréable du café et
la douce voix de sa jeune femme Kalliopé, qui chantonne un vieil
air crétois et l'appelle comme tous les matins depuis qu'ils sont
mariés. Aujourd'hui, c'est une belle matinée de fin de printemps,
le lever du soleil et son coucher règle la vie de ce jeune
scaphandrier pêcheur d'éponges de Ierapetra et de son épouse; les
journées rallongeront ainsi jusqu'à à l'approche de l'équinoxe,
il en ira de même jusqu'au solstice d'été avec des journées de
travail de plus en plus longues.
Kalliopé accompagne son mari en mer avec deux autres matelots, c'est rare qu'une femme crétoise serve de
matelot à bord d'un bateau de scaphandrier, mais les prix des
éponges ont chuté. La cause en est l'affluence des nouveaux
équipements de scaphandriers, les tenues sont plus souples et les
casques plus sûrs; l'étanchéité de la toile caoutchouté inventé
par le français Joseph-Martin Cabirol (1)  et des sous-vêtements en
coton molletonnés permettent aux scaphandriers de rester plusieurs
heures sous l'eau, cet avantage n'est pas sans risque suivant la
profondeur de pêche. Ils ont remisé les vieux équipements des
premiers scaphandriers ramenés du Pirée dans les années 50 (1850)
que Spyridon avait achetés d'occasion dans un magasin
d'accastillage du vieux port de Candie (l'actuel Héraklion) La
concurrence est dure aussi car, tous les jeunes hommes des ports
crétois et grecs, rêvent de devenir scaphandriers pieds lourds,
ce métier est mieux payé que marin pêcheur ou ouvrier de port ou
agricole, environ deux fois plus.Les jeunes filles sont en admiration devant ces nouveaux et solides aventuriers. Elles imaginent des
Minotaures sous-marins au fond de grottes labyrinthiques, nous
sommes au pays du roi Minos, elles s'imaginent en Ariane salvatrice
avec son fil les reliant au cœur de ces Thésée modernes en
scaphandre au casque de cuivre étincelant, vainqueurs quotidiens des
hydres abyssales.
Elles imaginent...elles s'imaginent en irrésistibles sirènes tentatrices...
Le père de Kalliopé avec deux autres matelots étaient assistants scaphandrier, chargés de la pompe à
bras et de tous les accessoires cordages, bouts, chaise à paliers,
étoupe et suif pour le graissage et l'étanchéité de la pompe à
bras fournissant l'air au scaphandrier, sur le bateau de son oncle,
Georgios, le plus vieux scaphandrier de Ierapetra. Un jour de
tempête, au large de Chrysis, cette île à moins d'une dizaine de
milles au sud de Irapetra alors qu'il ramassait des éponges à
pleins sacs sur un haut fond à l'est de l'îlot de Mikronisis. A cet
endroit les courants sont propices au développement des éponges,
mais ce jour là, vent et courant se conjuguèrent et le tuyau d'air
et la ligne de vie se sectionnèrent sur l'arête tranchante de la
sèche où travaillait Georgios et il ne refit jamais surface.
                    Quelques mois plus tard un autre scaphandrier retrouva le scaphandre avec le squelette du pauvre
Georgios; il raconta que les crabes avaient procédé au grand
nettoyage, une pieuvre avait élu domicile dans le casque, ainsi à
l'abri, narguant les prédateurs: - Elle avait dévoré l'âme du vieux scaphandrier, disait-il. Andros, le père de Kalliopé apprit donc à plonger aussi pour remplacer Georgios, mais le salaire
d'un troisième matelot aurait grevé d'autant le maigre bénéfice;
Kalliopé avait 14 ans, c'était une grande et solide fille pour son
âge, Andros n'avait pas de fils, il pensa qu'elle ferait un bon
matelot. Voilà comment Kalliopé se trouva enrôlée sur le registre
des inscrits maritime de Ierapetra.
                       Spyridon lui, était scaphandrier sur un bateau voisin de quai dans le port de Ierapetra, c'était un
gaillard de 20 ans, d'un mètre quatre vingt, brun aux yeux bleus
comme l'azur, toujours bronzé, son patron  était sous-traitant pour la « Société Française de Pêche aux Éponges pour la Méditerranée Orientale » (2),
basée à Izmir, en Turquie. Il avait dû faire venir une pouque (3) exprès pour lui d'Izmir, les scaphandriers turcs étaient de plus grands gabarits que la taille
habituelle des crétois.
Pendant plusieurs saisons,Kalliopé et Spyridon se contentèrent d'échanger regards et
sourires tout en parlant du travail, du temps et autres banalités.
Passés les 17 ans de Kalliopé, le soir en rentrant de mer, elle
trouvait toujours quelque chose à faire pour s'attarder sur le
bateau, recoudre le vieux génois refaire une épissure, lover et
re-lover le tuyau d'air et la ligne de vie jusqu'au retour du bateau
de Spyridon. Là enfin, au soleil couchant ils pouvaient rentrer seuls du port jusqu'à leur maison familiale
respective. Parfois, Spyridon acheter un petit bouquet de jasmin au
jeune musulman qui vendait aux passants le produit de sacueillette quotidienne juste derrière la mosquée ottomane.
Spyridon ne manquait jamais de détacher un brin de jasmin du bouquet
qu'il glissait au-dessus de l'oreille de Kalliopé , elle, faisait
mine d'arranger alors ses cheveux bruns encore ornés des perles
d'embruns devenus cristaux de sel brillants comme mille étoiles dans
un ciel noir sans Lune; c'était l'occasion pour eux de se de frôler
jusqu'à de subreptices caresses volées; communier dans un frisson
aux fragrances interdites où se mêlaient leurs haleines tièdes et
la douce brise venue pardessus la Mer de Libye de l'Afrique si
proche. L'odeur entêtante du jasmin embaumait la chambre de
Kalliopé et même, après sa toilette ses cheveux, mais d'un parfum
ténu. Alors Kalliopé s'endormait dans les yeux bleus de son
soupirant et Spyridon certainement dans le ciel noir étoilé de
chevelure de sa bien-aimée.

                       Ils ne purent plus cacher longtemps leur idylle faite jusque là de regards, de soupirs et
d'effleurements. Mais aussi de ce quelque chose d'étrange qu'il
n'avaient jamais ressentis avant, une réponse simple au
questionnement de leur jeunesse, c'est quoi l'amour? Ils avaient
trouvé ensemble la réponse: « L'amour, c'est aimer et être aimé. »
Un jour, plus épris que jamais, le désir donne des ailes et l'amour du courage, Spyridon pris le sien
à deux mains et demanda la main de Kalliopé à Andros son père. Le
mariage fut vite fixé, ce sera pour juillet, le père sentit
l'urgence...Spyridon devint second scaphandrier sur le bateau
d'Andros. Vers l'automne, Kalliopé se mit à ressentir le mal de mer, c'était inhabituel car elle n'en avait
jamais souffert depuis quatre ans qu'elle naviguait dans cette Mer de
Libye dont les eaux baignent le sud de la Crête mais où les coups
de vent sont soudains et fréquents, c'était l'un d'eux d'ailleurs,
qui coûta la vie à son oncle. Elle en parla à sa tante Despina, la
veuve de Georgios qui avait eu 5 enfants. Despina la regarda dans les
yeux, puis la dévisagea et repéra des signes que seule une femme
déjà mère plusieurs fois peut identifier: les stigmates de la
grossesse. Elle eut un grand sourire et prit Kalliopé dans ses bras
en lui disant: Je crois que vous avez bien travaillé la nuit aussi avec ton Spyridon, tu es enceinte ma fille!
Kalliopé en pleura de joie. Si c'est un garçon, nous l'apellerons Georgios, s'écria Kalliopé .Des larmes de joie et d'émotion se mélangèrent sur les joues des deux femmes, ces larmes avaient le
goût de la mer, cette mer qui peut donner la mort et qui est aussi
source d'amour et de vie.
Kalliopé s'envola des bras de Despinaet partit en courant annoncer la bonne nouvelle à Spyridon. Andros
et Spyridon perdirent ainsi un matelot. Le jeune musulman ottoman qui
vendait le jasmin derrière la mosquée changea de métier sans se
faire prier, Spyridon était tellement généreux et gentil avec lui
quand il lui achetait du jasmin, ce crétois chrétien de souche
serait un bon patron.
Quelques mois plus tard, le 15 avril1878, naissait ainsi notre arrière-grand-père Georges Dorgiakis.

Les années qui suivirent, Spyridon et Kalliopé eurent 5 autres enfants 3 garçons et deux filles. Aprèsune série de révoltes, notamment la révoltecrétoise de 1866-1869, il y eut une période calme et prospère pour la vente des éponges
jusqu'en 1887-1888 mais la Crête était toujours sous la souveraineté ottomane.Les turcs maîtrisaient le marché de gros de l'éponge et les
conditions se dégradèrent, Spyridon dut se séparer de ses matelots
et dut vendre son bateau.

Une compagnie grecque qui employait une dizaine de scaphandriers embaucha Spyridon. Le travail des
scaphandriers était un dur labeur mais bien payé. La compagnie
était spécialisée dans la récupération des marchandises non
périssables des navires marchands qui faisaient naufrage, les
assureurs payaient très cher la compagnie d'autant que les nombreux
archipels et leurs myriades d'iles et îlots étaient autant
d'obstacles à la navigation. L'accroissement de la navigation à
vapeur augmenta grandement le trafic entre l'Asie et l'Europe deux
des frères de Spyridon naviguaient déjà sur ces compagnies
grecques florissantes et le salaire des équipages étaient meilleurs
qu'à terre ou sur celui des compagnies turques.

Il fallait plonger de plus ne plus profond et le mal des scaphandriers les frappait souvent. On savait
bien qu'il fallait faire des remontées lentes ou en escaliers pour
regagner la surface mais les scaphandriers n'étaient pas tous
d'accord ni sur la profondeur ni sur la durée si bien que les
données empiriques et contradictoires des chefs de plongée
faisaient des dégâts. Des douleurs articulaires en passant par les
paralysies temporaires ou définitives et même jusqu'à la mort, les
scaphandriers payaient un lourd tribu au progrès et au développement
industriel et économique.
Un matin de ces longues journées de printemps comme ceux qu'en avait tant connus Spyridon et , Kalliopé,
un représentant de la compagnie grecque, une valise à la main,
frappa à la porte de Kalliopé, Georgios allait partir pour
l'école, il vint ouvrir la porte et le représentant de la compagnie
lui demande d'appeler sa mère, il remercia l'enfant et lui dit qu'il
pouvait partir pour l 'école. Le représentant resta sur le
pas de la porte; il remit à Kalliopé une valise d'effets personnel
et lui remit une enveloppe avec la dernière paye de Spyridon; il lui
résuma le drame, un coup de ventouse  suite à une chute de dix
mètre de l'étrave de l'épave d'un grand vapeur. L'homme
porte-malheur fit demi-tour et s'éloigna sans se retourner ignorant
les larmes et les sanglots mêlés de cris de désespoir de Kalliopé;
il avait l'habitude...

Kalliopé se retrouva jeune veuve avec 6 enfants. La période n'était pas faste en cette deuxième moitié
du 19 ème siècle, l'Empire Ottoman était déjà sur le déclin.
Beaucoup de musulmans appauvris avaient dû vendre leurs terres aux Grecs
chrétiens et les chrétiens n'étaient pas plus tendre avec les journaliers dans leurs fermes que
les musulmans. Pourtant Kalliopé dut se résoudre à travailler dans
les champs... au grès des saisons, les olives précédaient les
oranges et les citrons, au printemps les cerises puis l'été les
figues et les raisins qu'il fallait transformer en fruits secs au
moins les enfants ne manquaient pas de fruits, la viande et le
poisson ne trônaient pas tous les jours sur la tables, régime
crétois. Les enfants allaient dans la famille à droite à gauche,
le petit dernier n'avait que quelques mois et Kalliopé le
nourrissait encore au sein, telle une africaine, elle partait au
lever du jour avec le petit Petros sur le dos, elle le déposait à
l'ombre, au pied d'un arbre et l'enfant suivait dans un panier
d'osier qui servait habituellement pour le ramassage des fruit,
d'arbre en arbre sous l'œil vigilant de Kalliopé, un simple voile
de mousseline blanche pour le protégeait des insectes. Dans deux ou
trois mois Petros marcherait...
Georgios avait dû quitter l'école,les enfants travaillaient aussi dans les champs dès 8 ans, ils
étaient encore plus exploités que les adultes.
Un jour un des frères de Spyridon qui naviguait sur une compagnie grecque convainquit Kalliopé de lui
confier Georgios; il connaissait un hôtelier restaurateur sur le
Vieux Port de Marseille, le petit serait nourri et logé et au moins
il apprendrait un métier. Il commencerait par faire la plonge et a
10 ans, il serait petit mitron.
C'est le cœur déchiré que Kalliopé vit partir son aîné, la chair de sa chair, il avait les yeux bleus
de Spyridon, elle ne les quitta pas du regard jusqu'à ce qu'ils
disparaissent sur le pont du navire et le navire de l'horizon.
Effondrée, elle sera très fort la main du petit Petros comme le
naufragé désespéré s'accroche à sa bouée.

(1) Joseph-Martin Cabirol (1799-1874), chapelier à l'origine puis fabricant de
caoutchouc, réalise entre autres des costumes pour les plongeurs à
partir de 1841.
(2) 1865-1874 : Auguste Denayrouze crée deux sociétés, la « Société Rouquayrol-Denayrouze » (avec Benoît Rouquayrol et Auguste Denayrouze comme associés directeurs) et la « Société Française de Pêche aux Éponges pour la Méditerranée Orientale » (avec Louis Denayrouze à la direction à partir de 1869)

(3) Pouque mot utilisé pour qualifier le tenue du scaphandrier emprunté au norrois "sac."

Dernière modification le jeudi 16 Mars 2017 à 14:30:47
Daniel ALBERTI
(Certifié Scaphandrier à casque le 15 juin 1971 ECOPLONG MN)

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Dernière modification le vendredi 17 Mars 2017 à 07:52:05
Daniel ALBERTI
(Certifié Scaphandrier à casque le 15 juin 1971 ECOPLONG MN)

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Une bien belle histoire, surtout que nous n'en connaissons pas beaucoup sur ce scaphandriers grecs qui ont payé très cher et trop souvent la pratique de ce rude métier. Vous devriez la publier.

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Merci. Le texte est encore à améliorer et surtout, il y a une suite, mon arrière grand-père Georges Dorgiakis ( le fils du scaphandrier Spyridon) est arrivée à Marseille placé comme mitron,  dans cet hôtel-restaurant du Vieux Port. A  28 ans il fut appelé à l'Elysée comme Maître saucier lors de la dernière visite du Tsar Nicolas II. Je connais assez bien l'histoire de sa vie et de son parcours car il est décédé à l'âge de 96 ans, j'en avais 25 et quand il a rendu son dernier soupir, je lui tenais la main. Pour dire la vérité, on faisait "le quart" avec mon père, et je m'étais endormi en lui tenant la main, lui n' s'est pas réveillé. Il a eu une belle et longue vie et je pense aussi, une belle mort, il est resté malade un seul mois dans sa vie, le dernier.
A bientôt,
Daniel ALBERTI
(Certifié Scaphandrier à casque le 15 juin 1971 ECOPLONG MN)
CASTIERA

J   ai reussi a passer 12 h dans un scaphandre en plein soleil la vitre fermée  SUPER
   J aimerais recommencer  Je recherche un club qui organise des plongées pied lourd
   serge.castiera@gmail.com

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Ce sera plus facile de trouver l'adresse d'un sauna
Daniel ALBERTI
(Certifié Scaphandrier à casque le 15 juin 1971 ECOPLONG MN)
CASTIERA

separe du monde exterieur relie juste par l interphone on se liquefie literralement dans de < l eau de caoutchouc > le hublot qui s ouvre juste pour manger et se referme aussitotles relations avec le monde exterieur est completement different  la nuit on  remplacele hublot  par mesure de securite par un grillage pour pouvoir respirer sans surveillance  le plus dur occuper la journee les mains dans les gants de caoutchouc  la nuit trouver la bonne position pour dormir impossible d enlever le plomb fixé dans le dos une semaine dans le pied lourd ca pourrait etre faisable les cpsmonautes Americains ont reussi a passer 1 mois dans leur scaphandre 
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